Déconstruire les clichés pour (enfin) oser écrire

16 avr. 2025
Avant même de rédiger la moindre ligne, beaucoup d’écrivains débutants se heurtent à des visions idéalisées de l’écriture. Et bien trop souvent, cette idéalisation, qui est en réalité une illusion, est plus décourageante qu’entraînante. Savoir reconnaître ces clichés, c’est déjà lever un poids et clarifier son propre chemin d’auteur.

1. L’écrivain solitaire : réalité ou mythe ?

Pourquoi ce cliché est-il si vivace ?

Le mythe de l’ermite littéraire nous vient en partie de l’héritage culturel et scolaire. L’Éducation nationale valorise de vieux auteurs – souvent présentés comme des génies isolés – sans expliquer leur processus d’écriture ni leurs échecs avant le succès (parfois survenu après leur mort). Prenons Proust : on le cite comme un maître incontournable de la langue française, mais dans l’édition d’aujourd’hui, son style serait un pari risqué. Pourtant, on retient surtout l’image du génie solitaire, ce qui entretient l’idée que pour écrire, il faudrait se couper du monde et « souffrir pour l’art ».

Le calme, oui… mais pas nécessairement la solitude absolue

Il y a toutefois une vraie différence entre :

  • Se réserver des plages de concentration, où l’on écrit dans le silence. (Même si l’on se trouve dans une “écriture commune” à cent personnes, il s’agit toujours d’une forme de retrait personnel qui peut aider à trouver ses mots.)
  • S’isoler complètement trop longtemps, sans jamais demander de retours.

Rester seul des mois durant peut mener à deux excès opposés : surestimer son texte (la « grosse tête ») ou douter de tout (« c’est nul, j’arrête ! »). Sans regard extérieur, les incohérences se multiplient et finissent par nous coûter un temps fou en corrections. À l’inverse, échanger avec d’autres auteurs, disposer d’alpha-lecteurs ou de mentors bienveillants, c’est s’assurer un minimum de recul et éviter bien des écueils.

Des communautés pour briser l’isolement

Aujourd’hui, l’accès à une communauté en ligne, par exemple via Discord, change la donne. On y organise des ateliers, des “word sprints”, des séances d’entraide, et même des moments de discussion décontractée qui ravivent la passion de l’écriture. Pour certains auteurs en perte de motivation, le fait d’appartenir à un groupe ravive la flamme : cela leur donne une force et une confiance insoupçonnées.

Chez Architext Writers, nous avons vu des auteurs en plein burn out redécouvrir le plaisir d’écrire. Une autrice, par exemple, avait perdu toute envie de poursuivre son roman : grâce au soutien collectif et à l’utilisation d’outils comme notre template Flocon, elle a terminé son tome 2 et entamé un tome 3 avec enthousiasme.

La « porte fermée » de Stephen King, un conseil à nuancer

Stephen King conseille souvent « d’écrire la porte fermée, puis de corriger la porte ouverte », mais cette phrase, érigée en vérité universelle, peut induire les débutants en erreur. King parle avant tout de son propre processus : se protéger des retours trop tôt peut aider certains auteurs à garder la vision initiale intacte. Pour autant, écrire totalement seul quand on manque de repères ou de confiance peut devenir un piège. Notre approche propose, au contraire, de s’appuyer sur les feedbacks pendant l’écriture même (avec modération, pour ne pas se disperser) afin d’ajuster au plus tôt et de gagner du temps.

Au final, ce que Stephen King souligne, c’est surtout la nécessité de poser ses choix d’auteur, de ne pas se laisser balader par tous les avis. Il s’agit donc de trouver un équilibre : accueillir les retours pour progresser et repérer les incohérences, tout en maintenant sa propre vision.

Être auteur, c’est savoir faire des choix et les assumer, sans pour autant sombrer dans l’isolement complet.


2. Le cliché du don inné (ou du chef-d’œuvre spontané)

De l’extérieur, on imagine souvent que certains écrivains possèdent un talent immédiatement opérationnel, comme si tout se mettait en place dès le premier jet. En réalité, l’idée qu’un texte « s’écrit tout seul » cache des mois (voire des années) de maturation, des phases de préparation souvent invisibles, et d’inévitables réécritures.

La préparation, étape-clé souvent négligée

Pour beaucoup d’auteurs débutants, le mythe du don inné pousse à se lancer tête baissée dans la rédaction du premier jet, sans plan ni réflexion approfondie sur l’univers, l’intrigue ou les personnages. Résultat : nombre d’entre eux (87%) abandonnent avant de finir ce premier jet.

Nous estimons qu’au moins 60 % du travail devrait être consacré à cette phase préparatoire (univers, intrigues, personnages, validations…). En prenant le temps de murir son récit, on réduit considérablement les ajustements ultérieurs et donc le découragement.

Les auteurs expérimentés n’échappent pas à la préparation, même si elle est moins visible

Certains grands écrivains semblent se dispenser de toute méthode : on les voit pondre des dizaines de pages sans plan. En réalité, ils ont longuement laissé infuser leurs idées, presque inconsciemment, avant de se mettre à écrire. La révélation soudaine est donc souvent le fruit d’une longue gestation mentale.

Réécrire pour peaufiner, pas pour tout rattraper

Bien sûr, la réécriture a son importance : traquer incohérences, couper dans le gras ou développer ce qui a besoin de l’être, retravailler le style et clarifier les passages flous. Nous connaissons un auteur qui en est à la troisième mouture de son premier tome – un texte ambitieux. Sans ces réécritures répétées, la version initiale n’aurait probablement pas convaincu un éditeur.

Selon notre expérience, environ 30 % du travail concerne l’écriture pure (le premier jet), et à peine 10 % la réécriture et les corrections. Mais si la préparation est bâclée, les phases de réécriture s’allongent et peuvent devenir démotivantes.

Le manque de transparence historique

Enfin, ce cliché du don inné vient aussi du fait qu’on ignore beaucoup des coulisses d’écriture de nos illustres prédécesseurs. On retrouve parfois leurs brouillons raturés, mais rarement leur organisation initiale, leurs plans ou leurs premières pistes explorées. S’ils écrivaient à la plume ou à la machine à écrire, il était plus difficile de conserver toutes ces étapes de structuration.

Aujourd’hui, l’informatique et Internet offrent des outils incroyables de planification et de partage : c’est une chance inédite pour quiconque souhaite se former. Les ressources se multiplient, et les auteurs peuvent progresser plus rapidement que jamais.

En résumé, croire que tout se joue par magie au premier jet est un raccourci trompeur. Les grands textes naissent d’une vraie préparation, puis d’une écriture concentrée et, enfin, d’une réécriture soignée. De nos jours, il est tout à fait possible d’apprendre ces différentes étapes, de s’initier à des méthodes solides et de s’épanouir dans un processus qui n’a rien à voir avec le prétendu don inné.


3. La page blanche : plus qu’un cliché, une réelle appréhension

Dans nos échanges, la page blanche ressort surtout comme un blocage mental nourri par deux éléments fréquents :

  • Le syndrome de l’imposteur, qui fait douter l’auteur de sa légitimité à écrire.
  • La peur de mal faire, de ne pas être « assez bon » pour partager son texte.

Chacun vit différemment ces freins, et pourtant on voit clairement qu’ils trouvent un terrain favorable lorsque l’on écrit en totale solitude. Car sans échanges, sans retours bienveillants, il est plus difficile de relativiser ses doutes ou d’identifier des solutions constructives.

Or, la communauté joue un rôle décisif pour désamorcer ces blocages :

  • Un regard extérieur détecte des failles avant qu’elles ne deviennent des murs infranchissables.
  • Des pairs ou un mentor (qui n’impose pas ses propres idées, mais sait guider et encourager) permettent au débutant de trouver sa propre voix sans se faire écraser par une vision dominante.
  • Au sein d’Architext Writers, par exemple, nous avons pu anticiper chez une autrice le “syndrome du milieu” avant même d’entamer son premier jet, grâce aux échanges et à une méthode de travail itérative.

C’est dans cette perspective que nous avons élaboré la méthode ESKISS, fruit de trois années de recherche et de pratique autour de l’écriture. Inspirée notamment de retours d’auteurs, de méthodologies issues du développement informatique et d’une réflexion approfondie sur la créativité, ESKISS favorise :

  • Les feedbacks précoces et la détection rapide des blocages (dont la page blanche).
  • La collaboration et l’appartenance à un groupe d’auteurs prêt à partager des retours constructifs.
  • L’incrémentation : avancer par paliers successifs plutôt que d’écrire un jet complet seul.

Ainsi, la page blanche n’est plus un mur opaque : c’est un signal. Un signal qui indique que nous avons peut-être besoin d’aide, d’un échange ou d’un accompagnement adapté. Lorsque cette aide est bienveillante et respecte la créativité de chacun, on se rend compte que le blocage n’était jamais si insurmontable qu’il en avait l’air.


4. Le mythe du « best-seller » facile

Il existe une vision répandue selon laquelle certains auteurs, d’un simple trait de plume, produisent un livre qui se vend à des millions d’exemplaires. En réalité, les succès « inattendus » sont souvent portés par un long travail et une solide promotion, même si l’on aime attribuer ça à la chance. Bien sûr, il peut arriver qu’un livre de qualité passe inaperçu au départ — parce que l’éditeur n’y croit pas ou qu’un autre ouvrage écrase tout sur son passage —, mais un texte soutenu et visible finit généralement par trouver son public. Le travail de promotion est parfois sous-estimé, or « comment les lecteurs iraient-ils découvrir un livre dont ils ignorent totalement l’existence ? ».

La pression du best-seller

Pour beaucoup, le rêve de publier un best-seller rime avec réussir à vivre de sa plume, ce qui devient un objectif… et donc une source de pression immense. Une autrice expliquait d’ailleurs craindre qu’un succès soudain crée des attentes impossibles à combler, ou la « coince » dans des codes qui l’éloigneraient de ses propres envies. Il y a souvent cette peur : devoir plaire à tous ou à un large public pourrait restreindre la liberté créative. Pourtant, si le lecteur attend quelque chose, chaque auteur a le droit de choisir comment y répondre — ou non — tant il existe une grande diversité de lecteurs aux goûts variés.

Ni formule magique, ni hasard total

Pour un premier roman, mieux vaut viser la qualité, la sincérité et la cohérence de son message, plutôt que de vouloir à tout prix reproduire les recettes présumées du best-seller. Le succès commercial, quand il survient, tient à de multiples facteurs — écriture, promotion, timing, etc. — et reste en partie imprévisible. C’est pourquoi il est plus sain de se concentrer sur le sens et la portée de ce qu’on écrit.

« Un auteur a un grand pouvoir : il peut faire naître des idées dans le cœur des gens. »
Être conscient de cette responsabilité peut être un moteur bien plus solide et durable que la simple course à la vente. L’objectif n’est donc pas de se plier aux « cases » qu’on imagine être celles du marché, mais bien d’affiner un texte de qualité, de l’habiter d’une intention forte et de reconnaître que les lecteurs sont nombreux et qu’on plaira toujours à quelqu’un.

Conclusion : s’affranchir des images toutes faites

Pour commencer à écrire, la première étape consiste à prendre conscience de ces clichés (écrivain forcément solitaire, triomphe commercial immédiat, mystique du don inné) et à les nuancer. Oui, tu peux parfois travailler seul et t’immerger dans ton univers, mais tu peux aussi choisir d’échanger, de partager tes textes, d’utiliser des outils modernes pour progresser et construire ton projet d’écriture pas à pas.


Pour aller plus loin : tes retours et tes questions

Pour enrichir encore cet article et l’adapter à ta propre expérience, j’ai quelques questions à te poser :

  1. Qu’est-ce qui te bloque le plus aujourd’hui : la peur de la page blanche, le manque de temps, la peur du jugement ?
  2. Sur l’aspect solitaire, te sens-tu plus à l’aise en écrivant entièrement seul ou aimerais-tu tester des retours dès la phase de brouillon ?
  3. As-tu déjà l’idée (ou même plusieurs idées) de ce que tu veux écrire, ou tu cherches avant tout à oser te lancer ?
  4. Comment perçois-tu la question du best-seller : est-ce une pression qui te motive ou te paralyse ?
Tes réponses à ces interrogations nous aideront à étoffer le sujet et à personnaliser l’article. Cela permettra aussi de mieux orienter les articles suivants, qui aborderont comment clarifier son projet, comment décider de la bonne méthode d’écriture et comment gérer ses premiers retours.

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