Ouvrir la porte : accueillir les retours sans perdre le cap
Quand on débute, l’écriture ressemble souvent à une pièce fermée : on s’assied, on ferme la porte, et l’on attend que les mots viennent. Beaucoup y voient une étape protectrice, presque sacrée ; d’autres y restent prisonniers trop longtemps et se découragent. Chez Architext Writers, nous plaidons pour une porte ouverte maîtrisée : écrire en gardant la main, tout en laissant entrer suffisamment de lumière pour avancer plus vite et plus sereinement.
Deux modes, un même but
Imagine deux interrupteurs :
Mode | Ce qu’il apporte | Quand l’utiliser |
---|---|---|
Porte fermée | Silence, concentration, liberté de tester des idées sans jugement. | Une courte séance de flow, l’écriture d’un brouillon très personnel, un passage émotionnel qu’on veut explorer seul. |
Porte ouverte | Regard neuf, détection des failles, énergie du groupe. | Quand on a une ébauche (plan, résumé, scène clé) et qu’on veut vérifier qu’elle tient debout. |
Le secret n’est pas de vivre dans l’un ou l’autre, mais de passer régulièrement de l’un à l’autre. Le temps d’écrire un chapitre, je ferme ; dès que j’ai besoin de recul, j’ouvre. Après, il appartient à chacun de trouver le bon équilibre pour soi.
Pourquoi ouvrir ? Trois bénéfices concrets
Voir les problèmes avant qu’ils ne grossissent
Un œil extérieur repère en un instant une incohérence que toi, auteur·ice plongé·e dedans, ne vois plus. Corriger trois paragraphes prend une heure ; réécrire trois cents pages prend des mois.
Renforcer la confiance en tes choix
Défendre tes décisions d’auteur devant des pairs bienveillants est un excellent entraînement : tu apprends à expliquer pourquoi cette scène est essentielle, ou pourquoi ce personnage parle ainsi. Le jour où un éditeur, ou même un lecteur mécontent, te questionnera, tu sauras tenir bon, et tu auras déjà beaucoup de réponses.
Entretenir la motivation
L’écriture est trop souvent vue comme une activité obligatoirement solitaire. Or, partager même un simple plan redonne de l’élan : un commentaire positif, une idée nouvelle, et l’envie revient.
Les peurs légitimes… et comment les dépasser
Peur n° 1 : « Je vais devenir une girouette. »
Si j’écoute tout le monde, je vais changer d’avis à chaque remarque et je ne vais plus pouvoir avancer.
Solution : garde toujours en tête ton thème et ton message. Un retour ne mérite d’être intégré que s’il les sert. Et tu es seul juge à bord.
Peur n° 2 : « La critique va me bloquer. »
Après un avis négatif, je me sens nul.
Solution : commence petit : deux ou trois lecteurs choisis, avec une consigne précise (« Dites-moi si l’intrigue est claire », pas « Qu’en pensez-vous ? » : le premier appelle un raisonnement et des arguments logiques qui repose sur du factuel, le second appelle un émotionnel subjectif qui dépend des goûts et des idées d’une personne qui n’est peut-être pas le public cible du projet). Traite une remarque à la fois.
Peur n° 3 : « On va me voler mon idée. »
Solution : un accord moral, un watermark ou un NDA suffisent généralement. N’oublie pas : les idées ne sont pas protégées, mais la façon de les écrire, oui. Et un simple synopsis n’est pas exploitable sans tout le travail que tu feras ensuite.
Alpha et bêta : deux étapes complémentaires
Quand on débute dans un domaine de compétence, il y a bien souvent beaucoup de vocabulaire à appréhender. Dans les métiers du Livre, il y a bien plus de spécialistes qu’on peut le penser au premier abord. Et on peut parfois s’y perdre, voire en ignorer beaucoup. Commençons déjà par ces deux-là dont le rôle est proche mais pas identique.
- Alpha-lecture : on partage pendant l’écriture, parfois dès le plan ou après quelques chapitres. On veut savoir : Suis-je sur la bonne route ?
- Bêta-lecture : on partage une version complète. On teste l’expérience de lecture : rythme, émotions, cohérence finale.
Aucun des deux n’est là pour « corriger » ton texte. Ils sont là pour avoir sur le texte un regard que tu n’as pas, avec un recul difficile à obtenir quand on est autant impliqué dans son texte que peut l’être un auteur.
Pense ces lectures comme des cordes de sécurité : l’alpha t’empêche de tomber dans le ravin, la bêta vérifie que le pont tient avant de laisser passer les lecteurs.
Un exemple vécu : tenir à sa scène, coûte que coûte
Lors d’une alpha-lecture, une de nos autrices reçoit un retour sec :
“Tu devrais couper cette scène, elle ralentit l’action.”
Sur le coup, elle hésite. Cette scène, c’est le cœur émotionnel de son message. Au lieu de céder, elle relit, interroge son thème, affine son intention. Verdict : la scène reste, mais resserrée ; la tension monte plus vite, le propos ressort plus fort. Quelques semaines plus tard, un bêta-lecteur écrit : “Moment clé, j’ai été bouleversé.”
Moralité : ouvrir la porte, ce n’est pas obéir ; c’est écouter, filtrer, puis décider.
Mini-exercice : où se situe ta porte ?
- Un avis négatif me fait :
- Me braquer ☐
- Tout changer ☐
- Peser le pour et le contre ☐
- Avant d’envoyer un extrait, je :
- Ne précise rien ☐
- Demande un avis global ☐
- Liste 2-3 questions ☐
- Je peux résumer le message de mon roman en :
- Je ne sais pas ☐
- Un paragraphe ☐
- Une phrase ☐
Interprétation
- Majorité de réponses 1 : travaille d’abord ton thème et ton message.
- Majorité de réponses 2 : fixe des critères (thème, enjeu) avant chaque retouche.
- Majorité réponses 3 : tu es prêt pour de vraies alpha-lectures régulières.
S’entourer sans se perdre
La difficulté réelle consiste finalement à trouver le bon entourage : celui qui saura te soutenir et t’encourager dans tes efforts mais aussi te dire quand tu fais fausse route. Il existe des professionnels qui ont un regard efficace sur lesquels tu pourras t’appuyer. Et des communautés d’auteur·ices pour l’effet cheerleaders.
- Choisis tes lecteurs : qu’ils lisent ton genre, sachent expliquer leurs impressions et restent respectueux.
- Cadre la collaboration : précise ce que tu attends, définis un délai, remercie – la confiance se construit.
- Méfie-toi des gourous : un bon mentor éclaire tes options, il ne prend pas la barre à ta place.
Dans notre méthode ESKISS, ces allers-retours sont balisés et commencent dès la conception du roman, avant même la rédaction et les passages par l’alpha-lecture : on partage des ébauches, pas des chapitres bruts ; on définit des questions claires ; on analyse chaque retour à l’aune du thème et du message.
Conclusion : ouvrir, grandir… gouverner
Écrire porte ouverte, c’est agrandir la pièce sans renoncer à en être l’architecte. Plus tôt tu apprends à justifier tes choix devant un regard bienveillant, plus facilement tu garderas le gouvernail quand les vagues de critiques – constructives ou non – se lèveront. Ouvre la porte pour laisser entrer la lumière ; referme-la un instant quand tu dois te concentrer. Avance boucle après boucle : c’est ainsi que ton histoire, nourrie mais cohérente, prendra toute sa force.